« Nous avons donc tout mis en œuvre rapidement pour organiser leur maintien à domicile, à commencer par des gardes de nuit »
Hélène, médecin généraliste de 55 ans est Aidante principale de ses deux parents en perte d’autonomie. Depuis deux ans, elle a mis en place des gardes de nuits à domicile afin de leur offrir la possibilité de vieillir ensemble, chez eux.
Elle a accepté de répondre à nos questions, de nous expliquer son parcours d’Aidante, ses démarches, et de revenir sur les raisons qui l’ont poussée à choisir la solution du maintien à domicile pour ses parents.
Je suis médecin généraliste, et la fille de deux personnes âgées dépendantes dont je suis l’Aidante principale. Maman est atteinte de démence type Alzheimer et Papa plutôt d’une démence vasculaire avec des troubles confusionnels.
Je suis effectivement un peu débordée professionnellement, et j’ai d’abord mis en place des gardes de nuit il y a deux ans, car je ne pouvais pas assurer les jours et les nuits.
Ce qui m’a fait prendre cette décision, ce sont des événements d’altération des fonctions supérieures de mes parents. Cela a entraîné des conséquences imprévisibles et difficiles à gérer. Avec mon emploi du temps très chargé, je ne pouvais pas tout assurer seule.
J’ai lutté pour les sécuriser. C’est mon expérience professionnelle qui m’a fait choisir de les maintenir à domicile. Cela fait maintenant 25 ans que je vais régulièrement dans des EHPAD et je trouve que le placement dans ces structures entraîne une dégradation pour de nombreuses personnes. Il y a en a quelques-unes qui voient leur condition s’améliorer : c’est généralement le cas de femmes et d’hommes qui sont livrés à elles/eux-mêmes sans aide.
Je n’avais pas envie que mes parents soient dans une telle structure et je n’avais pas non plus envie de les séparer. Leur projet de vie était de rester le plus longtemps possible ensemble tous les deux.
Les EHPAD sont rarement conçus pour recevoir des couples. Il y a aussi le fait que les pathologies sont différentes pour l’un et pour l’autre : Maman relevait de l’unité protégée de déambulation et Papa, non. De fait, ils n’auraient pas été dans le même service. Cela aurait nécessité une séparation. Je n’avais d’autre solution pour les garder ensemble que celle de les laisser dans leur maison.
Au début, c’était donc moi qui m’occupais de tout en journée. J’ai également passé quelques nuits auprès d’eux, mais peu. J’ai d’abord mis en place des gardes de nuit tous les soirs. Ils étaient encore suffisamment autonomes pour vivre seuls en journée et je passais plusieurs fois par jour entre mes consultations.
Mais la situation a basculé très vite après un gros événement : mes parents se sont enfuis ensemble et ont été portés disparus. J’ai alors dû mettre en place un service quotidien d’aide à domicile de jour. Cela a été très compliqué, car ayant tous les deux un caractère très affirmé et ne souhaitant ni ne supportant l’idée que des personnes viennent chez eux, j’ai été obligée de leur imposer ces présences.
C’est un problème récurrent chez les personnes âgées. Lorsque les enfants ne se battent pas et ne s’imposent pas pour mettre ces aides en place, on peut vite arriver à des situations difficiles, car le placement doit se faire dans l’urgence.
En tant que médecin, je suis régulièrement confrontée à ce genre de problématique, et je trouve cela très dur, pour les personnes âgées comme pour leurs proches. Il faut alors trouver au pied levé des solutions pour les laver, leur donner à manger, les soigner, et la première, non pérenne, est l’hospitalisation, suivie du placement en institution.
Ma sœur et moi ne souhaitions pas cela, et nous savions qu’eux non plus. Nous avons donc tout mis en œuvre rapidement pour organiser leur maintien à domicile, à commencer, comme je vous le disais avant, par des gardes de nuit.
Au début, je passais chez eux tous les jours. Je vérifiais que tout allait bien, je les conduisais faire leurs courses et à leurs différents rendez-vous. Au fur et à mesure que de nouvelles difficultés apparaissaient ou que la situation empirait, je mettais en place des aides appropriées afin de me décharger.
Il a été difficile de leur faire comprendre que s’il n’y avait pas une personne à leurs côtés constamment, tout se compliquerait très vite. Cela a pris du temps, mais ils ont réussi à l’intégrer.
Je les ai laissé faire les courses seuls jusqu’à ce que la conduite devienne dangereuse et que je les fasse à leur place. Un jour, ils se sont perdus en voiture dans un lieu dangereux, près d’un ravin, et c’est un gendarme qui a réussi à leur faire entendre raison.
Nous avons pris la décision de déménager mes parents en 2007 afin qu’ils se rapprochent de mon lieu de vie et de travail, car tout gérer lorsque l’on est à plus de 600 kms est impossible. C’était devenu totalement ingérable.
À l’origine, leur projet de vie (ma sœur et moi leur avions posé très clairement la question) était de rester ensemble jusqu’à la fin. Pour ce faire, il m’a fallu prendre et imposer de nombreuses décisions. Il est essentiel de respecter un projet de vie.
Absolument pas par leur médecin traitant qui ne voyait pas la démence de Maman. C’était extraordinaire, mais il ne la voyait pas. J’ai eu de très nombreuses discussions avec lui, mais non, pour lui, tout allait bien. Jusqu’au jour où elle a dû être hospitalisée, car elle ne savait plus où elle était, et qu’à ce moment-là, les médecins de l’hôpital m’ont parlé de démence. Alors, comment vous dire… J’ai répondu que je le savais, mais que son médecin référent prétendait que non. À partir de là, il y a eu des bilans effectués et un diagnostic de démence a été établi.
Ce qui a tout fait basculer et m’a fait prendre des décisions, c’est lorsqu’un urgentiste d’une clinique parisienne m’a dit : « Il faudrait peut-être vous occuper de vos parents, parce que j’ai là deux personnes qui ne savent pas où elles sont et je ne sais pas quoi faire de ces deux personnes âgées. » J’ai réalisé qu’il y avait vraiment un gros problème et nous avons pris la décision de les faire déménager.
Pour ma part, je n’ai pas l’impression, bien qu’étant professionnelle soignante, d’avoir été mieux préparée. En tout cas pas sur les plans psychologiques et émotionnels.
Très sincèrement, j’ai la sensation de faire de grandes découvertes concernant la maladie d’Alzheimer ordinaire. Ce que je vis est très enrichissant sur le plan professionnel. C’est curieux, mais alors que la maladie de Maman est très avancée, je suis étonnée de tout ce qu’elle peut encore faire et de ce que l’on arrive encore à lui permettre de mémoriser.
Avant cela, je n’avais pas vu les choses de cette façon. Là où mon métier m’aide, c’est simple : lorsqu’ils ont besoin d’un médecin et que le leur n’est pas disponible, je vais immédiatement les voir.
Je ne suis pas sûre du tout d’avoir été mieux préparée à devenir la fille de deux personnes âgées totalement dépendantes.
Ce que je connaissais en revanche, c’étaient les démarches administratives de maintien à domicile, car une patiente m’avait demandé de faire en sorte d’installer et de maintenir sa maman chez elle pendant deux ans avant son décès. Je connaissais donc le coût de ces services, les organismes, les aides financières, etc.
En fait, j’avais déjà expérimenté le maintien à domicile à travers mes patients.
Pour cette dame par exemple, les gardes de nuit étaient assurées par des étudiants kinésithérapeutes.
Mes parents sont accompagnés toutes les nuits par des Chouettes d’Ernesti depuis deux ans. Nous avons commencé d’emblée toutes les nuits. Le premier soir où une étudiante est venue, elle a dû faire face au rejet complet de mes parents. Ma mère était également furieuse contre moi, « l’instigatrice » de tout cela.
J’ai donc demandé à cette jeune femme, qui avait heureusement du caractère, de rester dans sa chambre et de ne rien faire, de m’appeler si l’un ou l’autre tombait, c’était tout. Ça s’est mis en place comme ça. Au départ, les étudiants n’intervenaient quasiment pas, et faisaient acte de présence passive, mais toujours vigilante.
Progressivement, ils ont pris plus de responsabilités et mes parents ont peu à peu accepté cette aide. Il a fallu un mois (environ une trentaine de nuits) afin que tout se mette bien en place. En fait, une nuit, mon père est tombé et il a compris à ce moment-là qu’il était nécessaire que quelqu’un soit présent auprès d’eux. Le problème avec cette maladie, c’est qu’ils oublient…
Peu à peu, la sensation s’est inscrite dans son cerveau qu’ils avaient besoin de quelqu’un la nuit. Maman a fini par l’intégrer aussi. Au fil du temps, une vraie relation s’est établie avec les étudiants. Au-delà de l’accompagnement en lui-même, ils faisaient ensemble diverses activités stimulantes et sympathiques.
Pour vous donner un exemple, nous avions mis en place les « mardis cinéma ». L’étudiante du mardi soir avait donc la permission de les conduire au cinéma pour la séance de 21h et ils dînaient ensuite ensemble à la crêperie d’en face. Ils font aussi beaucoup de choses à la maison comme des ateliers cuisine, peinture, etc… J’ai une confiance totale en les étudiants, et cela permettait de sortir un peu du cadre du soin en focalisant sur l’aspect humain et relationnel.
Je dirais de ne pas trop attendre pour mettre l’aide en place parce que cela doit entrer dans le cadre de la personne âgée qui pense qu’elle est totalement autonome et qu’elle peut parfaitement se débrouiller seule. Si on attend trop longtemps, en tant qu’aidant, on est épuisé et on prend toutes les décisions dans l’urgence.
Dans tous les cas de figure, mettre en place des aides représente un coût substantiel. En ce qui me concerne, dans le cas d’un maintien à domicile, cela me coûte moins cher qu’un placement en EHPAD pour deux personnes. Et en plus, les intervenant(e)s s’occupent exclusivement d’eux deux. Il faut savoir ce que l’on veut comme projet de vie pour ses propres parents ou du moins comment on peut respecter leur propre projet de vie.
Il n’y a rien de parfait, cela est sûr. Mais lorsqu’une personne vient à la maison, elle est entièrement dévouée à la/les personne(s) qui y vit/vivent. En EHPAD, il faut diviser le nombre de gardes de nuit par le nombre de résidents. N’est pas non plus assuré le fait qu’ils ne tombent pas et qu’ils soient assistés dans les délais les plus courts.
A la maison, il y a un(e) soignant(e) pour deux personnes âgées, car mes parents sont tous les deux en vie, mais très souvent, l’un des deux étant veuf/veuve, célibataire ou divorcé(e), l’aide à domicile ne s’occupe que d’une seule personne. À mon avis, la proximité est bien meilleure, et l’aide est personnalisée.
Si au début, mes parents se sont plaints que ce n’était pas toujours les mêmes soignants (ce sont toujours les mêmes, mais ils font un roulement), il est vite apparu que la variété est une richesse. Avec chacun, ils vivent des choses différentes, ce que je peux notamment évaluer grâce au cahier de transmission.